A la demande de la Commission européenne, Tom Bevers a participé, au mois de février 2020, à la 2e « Réunion de haut niveau » dans le cadre du Dialogue UE-Thaïlande dans le domaine du travail, afin de souligner l’importance de la coopération internationale en matière d’inspections. Une expérience particulière en eaux agitées - heureusement surtout au sens figuré !
Une Saint-Valentin sur un bateau en Thaïlande. Cela fait penser à une offre romantique d’une agence de voyages, mais la réalité était quelque peu différente. Plutôt qu’un bateau de croisière, les membres de la délégation sur trouvaient devant un bateau de pêche, accessible uniquement par une passerelle assez instable, jetée par-dessus un autre bateau. Ils étaient tous un peu hésitants, mais Joost Korte, directeur général de l’Emploi à la Commission européenne a pris les devants. La visite de ce bateau, c’était une manière de constater de leurs propres yeux les conditions dans lesquelles deux pêcheurs thaïlandais et huit originaires du Myanmar allaient passer les jours suivants en mer. Dans la cabine où trois d'entre eux allaient devoir s'entasser, la casserole de riz mijotait déjà.
Pendant ce temps, les inspecteurs thaïlandais qui les avaient accompagnés vérifiaient les filets de pêche et la sécurité à bord, ainsi que les équipements utilisés pour suivre la trajectoire du navire au cours des jours suivants. A quai, les papiers des travailleurs faisaient l’objet d’une vérification. Ils avaient également eu la possibilité, s'ils le souhaitaient, de signaler tout problème, en birman si nécessaire, et à l'abri des regards indiscrets. Mais tout était en ordre et le bateau a pu partir.
Carton jaune pour les scampis thaïlandais
Le secteur de la pêche est très important pour la Thaïlande. Lorsqu’on achète un paquet de scampis dans les supermarchés, on constate souvent que ces fruits de mer proviennent de ce pays. Mais en 2015, l’UE a sorti un « carton jaune » et a menacé de cesser ses importations : la Thaïlande ne prend pas suffisamment de mesures pour lutter contre la pêche illégale et non régulée, en particulier la pêche illicite en dehors des eaux territoriales thaïlandaises. Dans un même temps, l’UE a proposé son aide, non seulement pour veiller au respect des règles en matière de pêche, mais également pour lutter contre le phénomène de la traite des êtres humains et les conditions de travail inacceptables dans le secteur. L’Organisation internationale du travail (OIT) a été associée à cette démarche et, grâce à un financement de l’UE, a mis sur pied le projet « Ship to Shore », afin de promouvoir une approche intégrée sur le terrain.
En parallèle, un Dialogue formel sur le travail a été enclenché, permettant à la Thaïlande d’accéder au club exclusif des pays avec lesquels l’UE entretient ce genre de dialogue. Ce club se compose des Etats-Unis, du Canada, du Japon et de l’Inde. Et la Thaïlande a également ratifié le protocole 29 de l’OIT (sur le travail forcé) ; elle est en outre devenue le premier pays asiatique à ratifier la convention 188 (sur la pêche).
Le dialogue social demeure un point problématique
Grâce aux efforts réalisés, l’UE a retiré son carton jaune en 2019. Mais la vigilance reste de mise, car tous les problèmes sont loin d’être résolus. La délégation de l’UE a débuté sa visite par une concertation avec une série d’ONG, Human Rights Watch et la délégation de l’OIT. Les membres de la délégation ont ainsi appris que le secteur de la pêche possède une grande influence politique et exerce de fortes pressions afin d’assouplir les mesures, parce que les concurrents au Cambodge, ou ailleurs, bénéficient d’un avantage concurrentiel. C’est pourquoi il a été demandé à Tom Bevers de présenter, lors de la réunion formelle du « Dialogue », la coopération internationale entre services d’inspection telle qu’elle a été formalisée au sein de l’UE avec la création de l’Autorité européenne du Travail (ELA). En outre, les compétences dans le contexte de la numérisation du marché du travail et de l'émergence de nouveaux types de contrats étaient au programme. Les travaux menés dans le cadre du « Future of Work » par l'OCDE, entre autres, se sont avérés utiles.
L’UE a insisté sur un renforcement du dialogue social. Un thème difficile pour la Thaïlande, où les leaders syndicaux sont souvent accusés de calomnie à l’encontre de l’entreprise. De plus, les autorités thaïlandaises craignent qu’un syndicat dans le secteur de la pêche soit dominé par les pêcheurs du Myanmar au point de devenir un instrument d’ingérence étrangère. L’UE continue néanmoins d’insister sur une ratification des conventions de l’OIT sur le dialogue social (87 et 98).
Le deuxième jour du dialogue a été consacré à la visite de deux sites. Outre le centre de contrôle du port, la délégation a aussi visité un centre de revalidation pour les personnes victimes d’un accident de travail. L’accent a également été mis sur la politique de prévention.
Le travail de l’OIT porte ses fruits
L’exemple thaïlandais permet de tirer deux conclusions. Si l'UE utilise sa politique commerciale dans le but d’amener également des changements sociaux sur le terrain, cela peut faire la différence, et aboutir à obtenir à la fois un commerce plus équitable et de meilleures conditions de travail. Et si les instruments de l'OIT auxquels le gouvernement et les partenaires sociaux consacrent beaucoup de temps et d'énergie en Belgique, ne sont pas toujours les plus pertinents pour notre propre pays, ils constituent, à l'échelle mondiale, un point de référence reconnu par tous, sur lequel nous pouvons nous appuyer.
Malheureusement, la Thaïlande s'est à nouveau retrouvée dans des eaux agitées sur le plan politique ces derniers mois. Les impacts de ces événements sur le secteur de la pêche et les progrès réalisés sont encore difficiles à évaluer. Une Thaïlande démocratique qui défend les principes du « travail décent » pourrait constituer une balise forte dans une région importante et économiquement émergente.