Récemment, les médias ont annoncé que le système actuel de stages non rémunérés en Belgique violait la Charte sociale européenne. C’est ce qu’a décidé le Conseil de l'Europe après une réclamation du Forum européen de la jeunesse. Peu de gens connaissent la procédure de réclamation collective auprès du Conseil de l'Europe et ses conséquences. Il est temps de remédier à cela.
Charte sociale européenne
Le Conseil de l’Europe (CdE) est peut-être moins connu dans grand public, mais il est en Europe l’institution des droits de l’homme par excellence. Le traité le plus connu du CdE est probablement la Convention européenne des droits de l'homme. À côté de cela, il y a aussi la Charte sociale européenne, également appelée Constitution sociale de l'Europe. Ce traité a été signé à Turin en 1961 et a fait l’objet d’une révision en 1996. Il garantit les droits relatifs au travail, à la protection sociale, à la santé, au logement, à l'éducation, à la circulation des personnes et à la non-discrimination. La Belgique a ratifié la Charte en 1990 et la Charte sociale européenne révisée en 2004 (91 des 98 paragraphes ont été acceptés par la Belgique entre-temps).
Contrôle
Le respect de la Charte est contrôlé par le Comité européen des droits sociaux (CEDS). Pour la Belgique, le contrôle de la Charte se fait par le biais de deux canaux.
D'une part, par le biais du rapport annuel, dans lequel certains droits de la Charte sociale européenne sont examinés chaque année par le CEDS. Le SPF Emploi coordonne cette obligation de rapportage au nom de la Belgique et soumet chaque année un rapport après un échange d’informations avec les collègues des entités fédérales et régionales.
D’autre part, depuis 1995, il existe un protocole additionnel relatif à une procédure de réclamation collective auquel les pays peuvent être soumis s'ils ratifient ce texte. 15 des 47 États membres ont déjà approuvé ce Protocole, dont la Belgique en 2003. Une réclamation collective ne peut être introduite que par des partenaires sociaux et organisations non gouvernementales reconnus et ne peut pas porter sur des litiges individuels. L’objectif est d’accroître l'efficacité, la rapidité et l'impact de la mise en œuvre de la Charte sociale européenne. De plus, le rôle des partenaires sociaux et des organisations non gouvernementales se voit ainsi renforcé. Cette procédure est en fait un système de protection parallèle et complémentaire à la protection juridictionnelle assurée dans le cadre de la Convention européenne des droits de l'homme. La réclamation peut même être introduite sans que les voies de recours nationales aient été épuisées et sans que l'organisation requérante soit victime de l'infraction en question. La décision finale du CEDS concernant la réclamation doit être respectée par l'État concerné, mais n'est pas exécutoire dans l’ordre juridique interne. Les conclusions du Comité sont en réalité déclaratoires. Sur cette base, les autorités nationales sont contraintes de prendre des mesures afin de se mettre en conformité avec la Charte.
Stages non rémunérés
Récemment, une réclamation a suscité beaucoup d’intérêt dans les médias belges et étrangers. Selon le CEDS, les stages non rémunérés proposés dans notre pays, en dehors du cadre d'une formation, vont à l'encontre de la Charte sociale européenne. Et même si ces décisions ne peuvent pas vraiment être imposées, elles ont un certain poids et incitent les responsables politiques à examiner la situation de plus près. Selon le Forum européen de la jeunesse, les stages non rémunérés constituent un obstacle à la mobilité sociale et sont utilisés abusivement par les employeurs pour remplacer des emplois rémunérés. C’est la raison pour laquelle il a introduit une réclamation auprès du Conseil de l'Europe en 2017. L’auteur de la réclamation doit toujours faire référence aux droits de la Charte qui sont violés. Dans le cas présent, il était question de l’art. 4 §1er (droit à une rémunération équitable) et à l’art. 7 §5 (droit des enfants et des adolescents à la protection) de la Charte sociale européenne révisée. Après l'enregistrement de la réclamation, toute une procédure est suivie, dans laquelle l'État membre est d'abord autorisé à réagir sur la recevabilité de la réclamation et ensuite les deux parties réagissent sur le fond de la réclamation. Enfin, le Comité européen des droits sociaux se prononce sur la recevabilité et le bien-fondé de la réclamation. En 2021, le CEDS a conclu que l’inspection du travail belge n’était pas suffisamment efficace pour détecter et prévenir les "faux stages". Cela viole le droit des travailleurs à une rémunération suffisante pour assurer un niveau de vie décent à eux-mêmes et à leur famille. Par la suite, le ministre du Travail Pierre-Yves Dermagne a répondu que les stages non rémunérés sont une forme de concurrence déloyale et d'abus des jeunes travailleurs et qu’ils augmentent les inégalités sur le marché du travail. Ensuite, le ministre a déclaré qu'il ferait tout ce qui est en son pouvoir, avec l'aide de ses collègues régionaux, pour remédier à cette situation.
Transparence salariale
Une autre réclamation récente portait sur la transparence des salaires. Il s'agissait d'une réclamation introduite par Women of Europe en 2016 contre 15 États membres. Cette réclamation a été clôturée en 2020, le Conseil de l'Europe ayant décidé que la Belgique violait deux articles de la Charte en ne faisant pas la transparence sur les salaires. Le CEDS conclut que plusieurs droits ne sont pas violés. Toutefois, il existe bien une violation, à savoir que la transparence salariale ne peut pas être garantie.
Ceci est expliqué en détail dans les conclusions du Comité. Le Comité indique que la loi du 22 avril 2012 visant à lutter contre l'écart salarial entre hommes et femmes a accru la visibilité de cet écart et s'est également avérée utile pour réduire cet écart efficacement. Le CEDS a constaté un manque de transparence dans les salaires en Belgique, car il n'existe pas de dispositions légales établissant des paramètres comparatifs pour déterminer la valeur égale du travail effectué par les hommes et par les femmes. En outre, le principe de la transparence salariale dans le secteur privé n’est pas garanti dans la pratique et les systèmes de classification des fonctions présentent plusieurs défauts. Le CEDS a donc considéré que l'obligation de reconnaître et de respecter le principe de transparence des rémunérations dans la pratique n’est pas respectée.
En 2021 a suivi une recommandation du Comité des ministres (qui comprend les ministres des Affaires étrangères des différents États membres), que les responsables politiques peuvent désormais mettre en œuvre.
Méconnu mais non moins important
Les conclusions de ces deux réclamations et l'attention qu'elles ont reçue confirment que les décisions du Conseil de l'Europe ont un certain poids. Bien qu'elles ne soient pas exécutoires, elles peuvent attirer l'attention des décideurs politiques. Il est certain que les États membres qui attachent une grande importance aux droits de l'homme n’apprécient pas d’être rappelés à l’ordre. Mais cela montre surtout que chaque État membre peut encore prendre des mesures pour mieux garantir les droits sociaux.